Parution au Dauphiné Libéré — édition Chambéry 14 février 2020

https://c.ledauphine.com/societe/2020/02/13/savoie-la-motte-servolex-dans-son-atelier-marion-laine-restaure-le-piano-de-l-opera-de-toulon

https://www.ledauphine.com/culture-loisirs/2020/02/15/savoie-restauration-de-pianos-dans-l-atelier-de-marion-laine-a-la-motte-servolex

https://c.ledauphine.com/liseuse/73A/20200214

Les Steinway et Bechstein n’ont pas de secrets pour Marion Lainé. Son défi du moment, c’est de retrouver l’âme du piano de l’opéra de Toulon. Photo Le DL /Sylvain MUSCIO

Voilà plus de 700 heures que Marion Lainé planche sur le piano Steinway de l’Opéra de Toulon. Tâches de café, poussière, rouille…, il était en très mauvais état quand elle a remporté l’appel d’offres pour le réparer. Il était même tombé et un pied avait traversé le plancher à deux reprises ! En faisant défiler les photos prises au smartphone, Marion Lainé remonte le temps. Sur les clichés, on retrouve le piano à queue dans toutes les positions. À l’envers, dénudé, poncé, vernis, poli…

Patiemment, une pièce après l’autre, et une étape après l’autre, Marion Lainé a joué sa partition pour sauver ce qui pouvait l’être. Parfois, c’est elle qui a le mauvais rôle et qui, appelée par les assurances ou pour un héritage, doit prononcer la mort d’un piano mangé par les vers ou ravagé par un dégât des eaux. Mais c’était possible de redonner une deuxième vie au piano de l’opéra de Toulon. Un défi estimé à 40 000 euros. C’est beaucoup, mais c’est quatre à cinq fois moins qu’un Steinway neuf.

Restaurer un piano, un défi technique et artistique

Son savoir-faire, Marion l’a acquis en école spécialisée mais aussi dans les maisons allemandes et italiennes où elle a travaillé pour parfaire sa connaissance des instruments et sa technique. Un métier-passion dans lequel elle excelle. Avec l’humilité des artisans qui, sans cesse, sur le métier remettent leur ouvrage. « Je m’estime toujours en apprentissage », sourit-elle. « Même si j’ai hérité d’un certain goût pour le travail bien fait », dit-elle en jetant un coup d’œil et un sourire au portrait de son grand-père, accroché dans l’atelier.

Métal, bois, cordes, feutre, ivoire, vernis… Restaurer un piano est un défi d’une grande technicité quelle que soit la matière. Dans son atelier, Marion Lainé décline ses gammes : tantôt elle joue de la perceuse, de la ponceuse, ou enroule les cordes autour des chevilles. Mais son instrument préféré c’est le pique-marteau. Un outil qui lui permet d’harmoniser la voix du piano en piquant jusqu’à 4 000 fois sur les différents feutres. Au bon endroit et avec la juste précision.

« Le but de la restauration, c’est de retrouver l’âme de l’instrument », résume Marion Lainé. Un défi tout aussi technique qu’artistique. « C’est un travail de précision, où l’on ne supporte pas d’approximation. Il ne faut pas que ce soit bien, il faut que ce soit parfait », sourit la restauratrice. « On travaille au quart de millimètre. Mon travail, c’est de rendre la précision de l’attaque, la souplesse du toucher, la dynamique du son. »

Comme tous les restaurateurs de piano, Marion Lainé travaille, dès le début de la réparation, avec l’idée du son à laquelle l’instrument peut arriver. Et les derniers réglages seront réalisés sur place, comme pour chaque piano. Elle partira de Savoie le 17 février, direction Toulon. Pour, une dernière fois, retravailler le son.

Marion Lainé est l’une des rares techniciennes à intervenir sur les pianos pendant les festivals. Photo Le DL /S.M.

Technicienne de concert lors de festivals

C’est une autre facette du métier de Marion Lainé. La Savoyarde fait partie des rares restaurateurs de pianos qui participe à la Folle journée de Nantes ou au Festival de pianos de la Roque d’Anthéron. Là-bas, elle joue les techniciennes de concert. Pour adapter les pianos à la fois au jeu, au programme mais aussi au trac des concertistes. Là encore, les connaissances et la précision de Marion sont appréciées à sa juste valeur. Car le pianiste, contrairement aux autres musiciens, ne se déplace pas avec son instrument. « Ce qu’il faut, c’est arriver à comprendre ce que les pianistes expriment avec des émotions, et opérer très rapidement le réglage qui va leur permettre de retrouver leurs marques et d’évacuer le stress », explique Marion, en souriant. Quand, un jour, un pianiste lui a lancé : « Marion, il est trop chaud, là, je me brûle en fond de clavier ! ». Elle avait 10 minutes pour ouvrir le piano, et opérer ses réglages sur les touches du clavier pour résoudre le problème qui gênait tant le pianiste avant d’entrer en scène.

Dans le métier, il faut savoir aussi composer avec une part d’improvisation. Mais rien d’insurmontable pour Marion. Avec son pique-marteau en poche, sa bonne humeur et son savoir-faire, les pianos, quels qu’ils soient, elle en fait son affaire.

Piano à queue de concert Steinway & Sons dans le foyer de l'Opéra de Toulon Steinway & Sons modèle D 274

Steinway & Sons D 274 — 1955

L’Opéra de Toulon m’a confié la restauration complète de l’un de ses Steinway & Sons de concert, qui a sa vie musicale dans le Salon Campra. Très abîmé, le piano ne tenait plus sur ses pieds et est déjà passé à plusieurs reprises à travers le plancher du salon. La restauration du meuble, de la structure harmonique et du bloc clavier/mécanique a nécessité le transport du piano dans mon atelier savoyard avant retour pour le concert inaugural donné par Marie Vermeulin.

Piano à queue de concert Steinway & Sons dans le foyer de l'Opéra de Toulon Steinway & Sons modèle D 274
Piano restauré, prêt pour le concert inaugural © Marion Lainé

Marque : Steinway & Sons
Modèle : D
Taille : 2m74
Fabrication : Hambourg — Allemagne
Année de fabrication : 1955
Structure : cadre fonte pleine non tourillonnée, cordes croisées
Mécanique : tubulaire Steinway & Sons à double échappement
Clavier : 88 notes du la au do
Ebénisterie : vernis polyester noir brillant
Année de restauration : 2019
Lieu de livraison : Opéra de Toulon

Description de la restauration :
- Restauration du clavier avec fabrication d’un revêtement en ivorite et remplacement des ébènes
- Remplacement cordes et chevilles
- Flipotage et revernissage de la table d’harmonie
- Regarnissage des étouffoirs
- Revernissage complet (DB Restor — Châlon sur Saône
- Remplacement de toutes les fixations de pieds et de lyre
- Réglage complet de la mécanique
- Harmonisation du timbre

vieux piano à queue de concert Steinway and Sons dans salon, le meuble est abîmé
piano à queue de concert Steinway & Sons complètement restauré dans l'atelier
chevilles cordes et cadre piano abîmés et poussiéreux
cadre Steinway restauré, propre et brillant
cordes et étouffoirs de piano abîmés et poussiéreux
cordes piano
clavier piano très abîmé ivoires arrachés
cadre piano abîmé
cadre piano restauré
marteaux piano abîmés et tâchés
mécanique piano à queue de concert restaurée
piano droit Pleyel n°9 en noyer français frisé, finition rempli ciré

Pleyel n°9 “Art Nouveau” — 1914

Ce Pleyel n°9, fabriqué en 1914 dans le style Art Nouveau “Soleil”, m’a été commandé par le poète Philippe Jaccottet et ce fut un honneur immense de travailler, pour lui, sur un si bel instrument plein de belles promesses tenues. Son meuble en noyer français frisé, dans une finition “rempli ciré”, très chatoyant, est en adéquation totale avec sa sonorité claire et lumineuse.

piano droit Pleyel n°9 en noyer français frisé, finition rempli ciré

Marque : Pleyel
Modèle : n°9
Taille : 1m30
Fabrication : France
Année de fabrication : 1914
Structure : cadre fonte ajourée cordes croisées
Mécanique : Pleyel à simple échappement,
Clavier : 85 notes du la au la, ébène et ivoire d’origine
Pédales : douce et Forté
Ebénisterie : noyer français “Soleil” rempli ciré
Année de restauration : 2022
Lieu de livraison : Grignan (26)

Description de la restauration :
- Restauration du clavier avec préservation de l’ivoire d’origine
- Remplacement cordes et chevilles
- Flipotage et revernissage de la table d’harmonie
- Regarnissage des têtes de marteaux et des feutres et peaux de mécanique/clavier
- Regarnissage des étouffoirs
- Restauration de l’ébénisterie
- Finition “rempli/ciré”
- Réglage complet de la mécanique
- Harmonisation du timbre

Piano vendu

Fabienne JUDONG-MANUEL à propos de son Erard modèle 1 de 1897

2012. Une visite chez Emmaüs. Y’a souvent rien, mais parfois des surprises. On aime y trouver nos meubles au hasard des coups de chance. Mais cette fois, oh, un piano à queue, éraflé, édenté, presque injouable, se tient là et aussitôt on tourne autour et on se prend à rêver. On l’adopte, mais on n’aura pas le temps de le soigner tout de suite. Notre Erard est sorti d’atelier à la fin du XIXeme siècle. Il semble avoir eu de la voix, avant…

2015–2016. On le sort du garage pour intégrer le salon. Paul répare les balafres du meuble, change les ivoires, fait briller les laitons et les vis, redonne du lustre au meuble noir, change des feutres et prépare la mécanique des étouffoirs. Pour le reste il nous faut un facteur de pianos. Mais ce travail n’est pas à la portée de tout le monde. A l’issue de l’intervention d’un professionnel, la mécanique devient « jouable », mais le toucher est moins précis que son petit frère le piano droit. Le son est disparate, notes dures et notes sourdes. C’est raté. OK on a compris, c’est pas à mettre dans les mains d’un technicien de piano ordinaire.

2019. Comment trouver l’une des rares personnes capable de faire renaître cet instrument ancien ?
Quelques recherches sur internet plus tard, les spécialistes de haut niveau et capables de restaurer les pianos anciens, sont rares, mais ça existe encore ! Et justement Marion est en Savoie ; aurait-elle été à Paris que je l’aurais contactée malgré tout.

S’ensuivent 3 jours de travail précis et intense. Enlever les bruits parasites, réglage complet de la mécanique, retour à un enfoncement plus faible, préparation des têtes de marteaux, harmonisation ; Marion respecte la conception de ce piano, et se coltine à la matière. Pas de répit, chaque réglage va être parfait, chaque défaut va être résolu, l’un après l’autre. Pas de concession, pas d’excuse, c’est fait pour marcher, très bien même, et ça marchera.
En 2 jours de travail sur la mécanique, le toucher est métamorphosé, et le son est déjà modifié !
Le 3eme jour porte principalement sur la réharmonisation et la finition du toucher. Là encore chaque timbre est refait entièrement. Les opérations de piquages et de réglages s’enchaînent à un rythme soutenu. Elle maîtrise.

Le piano s’ébroue et (re)trouve une plénitude musicale que je n’imaginais pas.
Ouah que ça peut être beau un Erard !
Géniale la conception ! Et Mozart, Chopin, Debussy, Bach, tout sonne avec du corps et de la subtilité. J’aimerais aussi l’entendre en version Jazz, je parie que tout lui va.

Géniale Marion de mettre un immense professionnalisme et savoir-faire, au service de la musique, à travers un instrument né bien avant nous et qui retrouve un beau présent et un bel avenir.
Et un grand merci pour m’avoir indiqué comment on joue d’un Erard, car seule je n’aurais jamais trouvé.

Le boîteux cheval de pré est redevenu un pur-sang de course.
Et maintenant il transporte le musicien et porte la musique !
Et je n’en reviens pas d’avoir ce piano chez moi.
Merci.

Petrof modèle V — 1962

Restauration structure et bloc mécanique/Clavier
piano à queue Petrof ouvert

Marque : Petrof
Modèle : V
Taille : 1m68
Fabrication : République Tchèque
Année de fabrication : 1962
Structure : cadre fonte pleine tourillonnée cordes croisées
Mécanique : Double échappement,
Clavier : 88 notes du la au la, Rhodoïd
Pédales : una corda et Forté
Ebénisterie : Polyester noir brillant
Année de restauration : 2017
Lieu de livraison : Leschaud (73)

Description de la restauration :
- Restauration du clavier
- Remplacement tourillons de cadre
- Remplacement cordes et chevilles
- Flipotage et revernissage de la table d’harmonie
- Remplacement des têtes de marteaux et des feutres et peaux de mécanique/clavier
- Regarnissage des étouffoirs
- Réparation des coups polyester
- Réglage complet de la mécanique
- Harmonisation du timbre

Restauration client

Alain LOMPECH, Journaliste et critique musical (Diapason, le Monde, Le Monde de la Musique), conseiller aux programmes de France Musique

Il serait facile de dire que Marion Lainé est une magicienne qui magnifie les instruments qu’elle accorde, harmonise, restaure et règle, une magicienne qui ramène à la vie ceux qui avaient été éteints par des soins inadaptés.

Mais de magie, il n’y a pas. Marion Lainé met en oeuvre sa connaissance intime du piano, des anciens instruments français, autrichiens ou allemands comme des modèles flambant neufs. Elle sait tout de l’instrument, de sa mécanique et de l’interaction entre chaque réglage, le plus infime soit-il… Elle sait tout de sa sonorité et de ce qu’il faut faire pour obtenir un résultat précis. Pas de magie, mais la capacité si rare de comprendre ce que le pianiste voudrait obtenir de son instrument et qu’il ne sait pas toujours formuler.

Alain Lompech